Le recours à l’AGRASC dans les affaires vitivinicoles est-il justifié par l’impératif de lutte contre le crime organisé ?
Publié le :
01/02/2017
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2017
I – Qu’est-ce-que l’AGRASC ?
L’Agence de Gestion et de Recouvrement des Avoirs Saisis et Confisqués se présente sur son site internet comme un établissement public administratif placé sous la double tutelle des Ministères de la Justice et du Budget, créé par la Loi pour faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale.
Elle est dirigée par un magistrat de l’ordre judiciaire épaulé par un conseil d’administration composé de 11 agents provenant des ministères cités ci-dessus.
L’objectif de la Loi est de mieux appréhender les profits générés par la délinquance et le crime organisé et de renforcer l’effet dissuasif de la sanction pénale.
Dans ce but elle prévoit une procédure de saisie pénale spéciale aux fins de confiscation, dérogatoires aux règles des procédures civiles d’exécution, insérée aux articles 706-159 à 706-164 du code de procédure pénale.
L’agence a principalement pour mission, outre son rôle général d’aide, de conseil et d’orientation donnés aux magistrats en matière de saisies et de confiscations, notamment :
- D’assurer la gestion centralisée, sur un compte qu’elle a ouvert à la Caisse des Dépôts et Consignations, de toutes les sommes appréhendées dans l’attente d’un jugement définitif, en vue d’une éventuelle confiscation lors de procédures pénales en France ;
- de procéder à l’ensemble des ventes avant jugement de biens meubles saisis, décidées par les magistrats lorsque ces biens meubles ne sont plus utiles à la manifestation de la vérité et qu’ils sont susceptibles de dépréciation.
Dans ce cas, la somme issue de la vente est consignée sur le compte tenu à la Caisse des Dépôts et Consignation de l’Agence, et est restituée au propriétaire du bien si celui-ci bénéficie d’un acquittement, d’un non-lieu ou d’une relaxe ou si le bien ne lui est pas confisqué.
Par exemple, l’agence est chargée de l’aliénation ou de la destruction des véhicules confisqués après avoir été immobilisés et mis en fourrière en application de l’article L. 325-1-1 du code de la route ;
- De gérer tous les biens complexes qui lui sont confiés, c’est-à-dire tous les biens qui nécessitent, pour leur conservation ou leur valorisation, des actes d’administration.
- D’assurer la gestion de biens saisis, de procéder à leur vente et à la répartition de son produit en exécution de toute demande d’entraide internationale ou de coopération émanant d’une autorité judiciaire étrangère.
De veiller, le cas échéant, à l’information préalable des créanciers publics ou victimes avant toute restitution et à l’indemnisation prioritaire des parties civiles sur les biens confisqués.
Autrement dit, le législateur a chargé l’agence de centraliser les différentes saisies : de numéraires, de comptes bancaires, d’immeubles, de véhicules ou de meubles de valeur, d’en assurer la bonne gestion, et de verser leur produit après réalisation, au budget général de l’État dans la perspective de garantir les condamnations à venir.
Si la personne concernée n’est finalement pas reconnue coupable, elle a malgré tout perdu les biens saisis, et ne retrouvera leur contrevaleur supposée qu’après expiration d’un délai d’opposition de ses éventuels créanciers publics (Trésor, URSSAF, etc…)
Il s’agit donc de mesures extrêmes qui ont été édictées au départ pour lutter contre le grand banditisme, ce dont tout un chacun pouvait se féliciter, mais qui touchent maintenant toute infraction susceptible d’être le fruit d’une organisation spécifique.
II – Extension du principe
Personne ne contestera que les sociétés commerciales sont des entreprises, mais aussi des organisations dont le but est de générer un profit, c’est même leur raison d’être pour le bien de tous, laquelle passe par la création de richesses.
Un profit susceptible d’avoir été illicitement obtenu fait-il pour autant basculer la structure dans la sphère de la grande délinquance ou du crime organisé ?
Assurément non.
Et même pour garantir l’existence de fonds permettant de pourvoir aux paiements des amendes parfois élevées et à l’indemnisation des victimes, le but de la Loi ne doit pas être dévoyé.
L’état d’esprit du texte n’est pas de permettre à l’Etat de se procurer de la Trésorerie à bon compte en systématisant le principe, et en recourant régulièrement quelle que soit l’infraction reprochée, à des mesures de saisies et de confiscation dès qu’une mise en examen ou une instruction est ouverte.
La tentation est grande d’étendre à chaque procédure de telles mesures même si le principe de la présomption d’innocence doit en pâtir et le droit de propriété, sacro-saint principe énoncé par l’article 544 du Code civil et pilier de notre Constitution, être foulé au pied.
Mais de telles mesures sont-elles constitutionnelles ?
Si les buts poursuivis sont légitimes, de telles mesures doivent restées exceptionnelles et cantonnées à des types de délinquances précises, mafieuse, internationale, etc…
Malheureusement, ces pratiques atteignent maintenant les opérateurs de la filière viti-vinicole négociant, viticulteur ou intermédiaire indépendant ou salarié comme des courtiers ou des maitres de chais, de sorte que les dirigeants de droits et les sociétés ne sont plus les seuls touchés.
Leurs co-auteurs ou complices présumés peuvent également voir leur patrimoine saisi.
Il ne s’agit plus de cas d’école exceptionnel car depuis sa création, l’Agence a traité près de 19 000 affaires l’ayant conduit à gérer 34 000 biens de nature très diverse (numéraires, comptes bancaires, véhicules, bateaux, biens immobiliers, etc..), pour un montant dépassant le demi-milliard d’euros, tandis qu’elle est saisie chaque jour, en moyenne, de 20 affaires nouvelles.
III- Application à la filière vitivinicole
Pour illustration, on peut citer le cas d’un négociant suspecté d’avoir commercialisé des vins sur lesquels il n’a pratiqué aucune façon, et qui ne correspondraient pas à leur cahier des charges d’origine.
Ainsi, nonobstant les éléments techniques qu’il a pu produire pour justifier de ce qu’il n’a commis aucune faute et qu’il ne peut être responsable d’aucun fait positif, il lui a été rétorqué qu’il est importateur dudit produit et que dans ce cadre, il doit en garantir la parfaite sincérité.
Sa société se voit donc, lors de sa mise en examen, saisie à hauteur de plusieurs centaines de milliers d’euros, autrement dit, ses comptes sont sans autres avertissements vidés au bénéfice de l’AGRASC.
La saisie est effectuée immédiatement dès la mise en examen ou l’ouverture d’une instruction pour que l’effet de surprise joue à plein.
Il s’agit aussi d’un effet déstabilisant sur la personne concernée, mesure contraignante qui n’est pas dénuée d’arrière-pensées, notamment celle de la faire sinon avouer du moins reconnaître sa responsabilité pénale.
Dans les 8 jours, cette saisie doit être expliquée au Juge de la Liberté et de la Détention qui par ordonnance, sans débat contradictoire, la valide ou l’annule.
La procédure est alors dénoncée officiellement à la personne concernée et les fonds ou biens saisis tombent sous la coupe de l’AGRASC.
Le seul recours de la personne est d’interjeter appel contre la décision du Juge de la Liberté et de la Détention qui a autorisé la saisie pratiquée préalablement afin de débattre de sa réalité et de sa validité, devant la Chambre de l’Instruction de la Cour d’Appel territorialement compétente.
Toutefois, la Cour d’Appel n’est pas Juge du fond. Elle se borne à vérifier si avec les moyens dont dispose le Parquet ou le Juge d’Instruction, cette mesure exorbitante de droit commun, prévue par la loi de 2010 pouvait être mise en œuvre.
La Chambre de l’Instruction saisit d’un recours ne peut qu’annuler ou moduler et donc réduire le montant des sommes saisies.
Dans un autre exemple, un salarié, maître de chais, s’est vu poursuivi pour ne pas avoir respecté le cahier des charges des appellations vinifiées par ses soins.
Licencié et donc privé de ressources, ses comptes et les sommes sur lesquelles il comptait pour assurer son quotidien, sont saisis d’autorité par l’AGRASC, sur l’initiative du Parquet.
L’ensemble des sommes qu’il perçoit, notamment les indemnités Assedic, sont saisies.
Il n’a donc plus de subvenir à ses besoins essentiels comme régler son loyer. Paradoxalement, il est toujours présumé innocent puisque la procédure est en cours d’instruction, laquelle prendra plusieurs mois, sinon années.
Si la situation d’une société florissante est moins dramatique que celle d’un particulier, il n’en reste pas moins que des vies peuvent se trouver ainsi broyées, lorsqu’une relaxe ou une condamnation moindre que le quantum saisi intervient.
Inversement, même si les personnes concernées par ces mesures drastiques sont au final condamnées, ils ne leur restent plus rien.
Que dire alors de la possibilité pourtant prônée par notre droit pénal de la faculté qui doit toujours être permise à tout condamné, de s’amender et de se réinsérer.
Il ne le pourra pas ou plus. Généralisée, cette procédure montre ses limites et il apparaît urgent de mieux l’encadrer.
Michel DESILETS
Bâtonnier
Avocat au Barreau de Villefranche/Saône
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