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La notion d’agriculteur actif: Nouveau casse tète juridique pour les sociétés agricoles

La notion d’agriculteur actif: Nouveau casse tète juridique pour les sociétés agricoles

Publié le : 02/04/2024 02 avril avr. 04 2024

Le règlement UE 2021 / 2115 du 2 décembre 2021 a défini de nouvelles règles régissant le plan stratégique devant être établi par les Etats membres dans le cadre de la politique agricole commune. A travers ce règlement, l’Union Européenne a décidé d’une réorientation de la politique agricole commune en 2021, afin de rationaliser sa gouvernance et d’améliorer la façon dont elle est mise en œuvre. Dans ce nouveau contexte législatif et règlementaire, l’Union Européenne a pour fonction de fixer les paramètres essentiels de la politique agricole commune tels que ses objectifs et les exigences de base, les Etats membres devant, pour leur part, assumer une plus grande part de responsabilité dans la manière dont ils réalisent ces objectifs et atteignent les valeurs cibles. En d’autres termes, les Etats membres ont été invités à jouer un rôle plus important dans la mise en œuvre de la politique agricole commune.

Pour autant, l’Union Européenne souhaite cibler l’aide aux revenus agricoles sur les agriculteurs dit « actifs ». Afin d’éviter les disparités entre Etats membres, elle s’est efforcée d’établir une définition cadre de l’agriculteur actif au niveau européen. Selon l’article 4 - 5°) du règlement précité, « l’agriculteur actif est déterminé de façon à garantir que l’aide ne soit accordée qu’aux personnes physiques ou morales ou aux groupements de personnes physiques ou morales exerçant au moins un niveau minimal d’activité agricole, sans nécessairement exclure la possibilité d’accorder l’aide aux agriculteurs pluriactifs ou aux agriculteurs à temps partiels. ».

Il est encore précisé que « pour déterminer qui est un agriculteur actif, les Etat membres appliquent des critères objectifs et non discriminatoires tels que le revenu, la main d’œuvre occupée sur l’exploitation agricole, l’objet social et l’inscription de ses activités agricoles dans les registres nationaux ou régionaux. ».

Pour la France, la notion d’agriculteur actif est définie à l’article D 614-1 du Code Rural et de la Pêche Maritime. Selon ce texte :

« Pour l'application des régimes d'aide relevant de la politique agricole commune, est considéré comme agriculteur actif, le demandeur qui remplit l'une des conditions suivantes :
1° Etre une personne physique répondant aux critères cumulatifs suivants :
a) Etre redevable, pour son propre compte, de la cotisation due au titre de l'assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles mentionnée à l'article L. 752-1 pour les activités mentionnées aux 1° ou 2° de l'article L. 722-1 ;
Pour l'application de ce critère dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle ou aux agriculteurs au sens de l'article 3 du règlement (UE) 2021/2115 du Parlement européen et du Conseil du 2 décembre 2021 dont le siège d'exploitation est situé en France et qui, en application des dispositions du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, ne sont pas redevables de la cotisation due au titre de l'assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles mentionnée à l'article L. 752-1 : diriger une exploitation agricole dont la superficie est supérieure à deux cinquièmes de la surface minimale d'assujettissement mentionnée à l'article L. 722-5-1, ou dont le temps de travail nécessaire à la conduite de l'activité est au moins égal à 150 heures par an ;
b) En cas d'atteinte de l'âge prévu au 1° de l'article L. 351-8 du code de la sécurité sociale, ne pas avoir fait valoir ses droits à la retraite auprès des régimes légaux ou rendus légalement obligatoires, de base et complémentaires ;
2° Etre une société dans laquelle au moins un associé répond, au titre de son activité dans la société, aux conditions fixées au 1° ;
3° Etre une société, sans associé redevable de la cotisation due au titre de l'assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles, mentionnée à l'article L. 752-1, sous réserve d'exercer une des activités mentionnées aux 1° ou 2° de l'article L. 722-1 et que le ou les dirigeants de cette société :
a) Relèvent du régime de protection sociale des salariés des professions agricoles au titre des 8° ou 9° de l'article L. 722-20 ;
b) N'ont pas fait valoir leurs droits à la retraite auprès des régimes légaux ou rendus légalement obligatoires, de base et complémentaires alors qu'ils ont atteint l'âge prévu au 1° de l'article L. 351-8 du code de la sécurité sociale ;
c) Détiennent une part minimale du capital social de la société fixée par arrêté du ministre chargé de l'agriculture ;
4° Etre une personne morale de droit public exerçant une activité agricole au sens de l'article D. 614-4 ;
5° Etre une association régie par les dispositions de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association ou une fondation reconnue d'utilité publique dont les statuts prévoient l'activité agricole au sens de l'article D. 614-4 ;
6° Etre un agriculteur, au sens de l'article 3 du règlement (UE) 2021/2115 du Parlement européen et du Conseil du 2 décembre 2021, non redevable de la cotisation due au titre de l'assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles mentionnée à l'article L. 752-1, dont le siège d'exploitation est situé sur le territoire d'un autre Etat membre de l'Union européenne, qui répond à la définition d'agriculteur actif dans cet Etat et qui exploite des terres en France. ».
Depuis la mise en œuvre de ces dispositions, de nombreux exploitants agricoles se voient notifier des décisions de refus des aides de la PAC auxquelles ils pouvaient prétendre jusqu’à présent. De telles décisions ne sont pas sans impact pour l’équilibre et même parfois pour la pérennité des exploitations concernées.
Les décisions prises par les Direction Départementales des Territoires en la matière sont susceptibles de recours devant la juridiction administrative, dans un délai de deux mois à compter de leur notification. Mais les délais de traitement des recours contentieux présentés devant le Tribunaux Administratifs sont relativement longs. En présence de situation d’urgences avérées, les exploitations agricoles concernées pourront néanmoins demander au Juge des Référés du Tribunal Administratif de de suspendre les décisions qui leur sont défavorables, dans les conditions de l’article L 521-1 du Code de Justice Administrative, et ce dans l’attente de l’intervention d’un jugement au fond.
Le succès des contentieux dépendra bien évidemment de la situation de chaque exploitation concernée. Toutefois, il semble important de poser, dès à présent, la question de la compatibilité entre les dispositions de l’article D 614-1 et la législation communautaire. Si l’on relit l’article 4 - 5°) du règlement 2021 / 2115 du Parlement Européen et du Conseil du 2 décembre 2021, la notion d’agriculteur actif semble avoir été comprise, au niveau Européen, comme liée à la preuve de la réalité d’une activité agricole et du niveau suffisant de celle-ci.
Le texte rappelle en outre que la notion d’agriculteur actif doit être établie par les Etats membres sur des bases objectives et non discriminatoires. A cet égard, les dispositions de l’article D 614-1 posent question, notamment vis-à-vis des sociétés d’exploitations agricoles dans lesquelles ’est recensé aucun associé exploitant. Pour ces personnes morales, l’article D 614-1 exige notamment que leurs dirigeants relèvent du régime de protection sociale des salariés des professions agricoles. En d’autres termes, les dirigeants de ces sociétés doivent avoir un statut de salarié. Ils doivent par ailleurs détenir une part minimale du capital social fixée à 5 % par un arrêté du Ministre chargé de l’agriculture du 13 mai 2023.
A cet égard, la question est clairement posée de savoir si les dispositions de l’article D 614-1 et de l’arrêté du 13 mai 2023 ne présentent pas un caractère discriminatoire, incompatible avec les exigences du texte communautaire. En effet, selon le règlement Bruxellois, les seuls critères objectifs qui peuvent être pris en compte pour identifier un agriculteur actif sont ceux du revenu, de la main d’œuvre occupée sur l’exploitation, de l’objet social et de l’inscription éventuelle de l’exploitation dans les registres nationaux ou régionaux. A cet égard, il semble discriminatoire d’exiger que les dirigeants d’une société détiennent une part minimale du capital de la société. Ce critère n’est nullement décisif pour apprécier l’existence d’une activité agricole et le niveau suffisant de celle-ci.
Les dispositions des textes français reflètent, sans surprise, une conception restrictive de la notion d’agriculteur, portée par un syndicalisme national trop souvent tourné vers le passé. En effet, les autorités françaises semblent vouloir réserver la qualité d’agriculteur actif à des sociétés dans lesquelles les associés et dirigeants sont très impliqués dans la gestion quotidienne de l’activité agricole, tournant ainsi le dos à une évolution capitalistique, que certains ont cherché à diaboliser en évoquant un risque de « financiarisation » de l’agriculture. Par réalisme, il conviendra de poser un jour la question de savoir si l’agriculture française peut survivre sans s’ouvrir à des financements conséquents, que la population agricole traditionnelle n’a peut-être pas la volonté ou les capacités de fournir.
En toute hypothèse, les juridictions administratives devront se prononcer, tôt ou tard, sur l’incompatibilité du dispositif national avec les textes communautaires, le cas échéant après renvoi préjudiciel devant la Cour de Justice de l’Union Européenne.

François ROBBE
Avocat Associé
Maître de conférences à l’Université Jean Moulin Lyon 3
Président de l’Association Française de Droit Rural
 

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