La loi SEMPASTOUS : nouvel outil de régulation de l'accès au foncier agricole à travers les structures sociétaires
Publié le :
03/01/2022
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En 2016, le monde rural français apprenait avec stupeur la prise contrôle de 1.700 hectares de terres dans le département de l’INDRE par un consortium Chinois. Cette opération retentissante résultait d’une cession partielle des parts sociales de deux sociétés d’exploitation agricole. Elle s’était accomplie sans que la SAFER et les services de l’Etat en charge du contrôle des structures des exploitations agricoles puissent réagir. En l’absence de tout acte transférant la propriété de parcelles agricoles, le droit de préemption dévolu aux SAFER ne pouvait s’exercer. La cession ne portant que sur une partie –certes très majoritaire – des parts sociales des sociétés concernées, la SAFER locale n’avait pu faire usage du droit de préemption qui lui est attribué en cas de cession de la totalité des titres sociaux d’une société dont l’objet principal est la propriété agricole. Et en l’absence de toute installation, réunion ou agrandissement d’exploitation, aucune autorisation administrative d’exploiter n’était requise malgré l’impact foncier de cet investissement. Fort de ce premier succès, le même groupe chinois reproduisait un schéma similaire dès 2017 pour prendre le contrôle de 900 hectares supplémentaires dans le département de l’ALLIER.
Ces prises de participation importantes ont nourri de fortes inquiétudes, notamment au sein des organisations professionnelles agricoles. Dans les milieux politiques, la crainte d’une perte de souveraineté alimentaire a également été exprimée. Les pouvoirs publics se sont alors efforcés de mettre en place des instruments de régulation des opérations foncières menées par le truchement de structures sociétaires. A deux reprises, le Parlement a voté une extension des prérogatives des SAFER, pour leur permettre d’exercer un droit de préemption lors d’une cession portant sur une partie des parts sociales d’une société dont l’objet principal est la propriété agricole. D’abord censuré par le Conseil Constitutionnel en tant que cavalier législatif, (Cons. Const., 8 décembre 2016, n°2016-741 DC), ce dispositif fut ensuite invalidé au motif que le droit de préemption ainsi conféré aux SAFER ne leur garantissait pas une position majoritaire dans les sociétés détentrices de biens ou droits immobiliers, de sorte que l’atteinte portée au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre ne paraissait pas justifiée (Cons. Const., 16 mars 2017, n° 2017-748 DC).
Le problème de la régulation du marché dit « sociétaire » demeurait donc entier et la mission d’information commune de l’Assemblée nationale sur le foncier agricole, présidée par le député Jean-Bernard SEMPASTOUS, a dénoncé en décembre 2018 une multiplication des structures sociétaires de nature à menacer, aux yeux de ses rapporteurs, la pérennité de l’agriculture française (Rapport de la mission d’information commune sur le foncier agricole, JO AN, 15ème législature, N°1460). Les travaux de cette mission d’information ont assurément inspiré la proposition de loi portant mesure d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires, déposée à l’Assemblée Nationale le 9 février 2021 par Jean-Bernard SEMPASTOUS et plusieurs centaines de ses collègues.
Promulguée le 23 décembre 2021, ce texte soumet à autorisation du Préfet de département la prise de contrôle d’une société possédant ou exploitant des biens immobiliers à usage ou à vocation agricole par une personne - physique ou morale - qui détient déjà directement ou indirectement, en propriété ou en jouissance, des biens de même nature dont la superficie totale excède un seuil d'agrandissement significatif ou qui, une fois réalisée la prise de contrôle, détiendrait une superficie totale excédant ce seuil. Le seuil d’agrandissement significatif sera fixé à l’échelle régionale par arrêté du Préfet de région. Il pourra être compris entre une fois et demi et trois fois la surface agricole utile régionale moyenne fixée par le schéma directeur régional des exploitations agricoles. Par référence aux articles L 233-3 et L 233-4 du code de commerce, la prise de contrôle sera réputée acquise dès le franchissement d’un seuil de 40 % de détention de capital (voir les articles L 333-1 et suivants du code rural et de la pêche maritime).
Certaines opérations sont exclues du champ d’application de la réforme, comme les opérations menées à titre gratuit ou les cessions effectuées dans un cadre familial jusqu’au quatrième degré inclus. Les cessions effectuées entre associés sont également exonérées d’autorisation sous certaines conditions.
Il appartiendra à la SAFER de procéder pour le compte du Préfet du département à l’instruction des demandes dont elle sera directement saisie. Après avis de cette société, le Préfet pourra refuser l’autorisation sollicitée, l’accorder, ou éventuellement inviter le demandeur à prendre des engagements de nature à réduire les impacts négatifs de la prise de participation envisagée. Ces engagements pourront consister, par exemple, à céder des terres à un jeune agriculteur en cours d’installation afin de conforter celle-ci. Le demandeur pourra alors obtenir une autorisation conditionnelle, dont le maintien sera subordonné au respect des engagements pris, lesquels devront en principe être mis en œuvre dans les six mois.
Le texte assortit le nouveau dispositif d’un système de sanctions sévères, pouvant aller jusqu’au prononcé d’une amende administrative voire à l’annulation judiciaire des cessions de parts irrégulières. La loi SEMPASTOUS doit entrer en vigueur avant le 1er juillet prochain et elle sera intégralement mise en œuvre avant le 1er novembre 2022. Il est beaucoup trop tôt pour dire si ce texte atteindra son objectif principal, à savoir favoriser l’installation d’agriculteurs. Un rapport d’évaluation doit être remis au Parlement dans les trois ans de sa promulgation, afin de mesurer pleinement son efficacité. Entretemps, il est possible que les pouvoirs publics mettent en chantier la grande loi foncière plusieurs fois annoncée par le Président de la République, ce qui permettrait entre autres de coordonner entre eux les divers outils de régulation du foncier agricole consacrés par le code rural.
François ROBBE
Avocat au Barreau de Villefranche-sur-Saône
Maître de conférences à l’université Lyon 3
Président de l’Association Française de Droit Rural
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