DE LA MOTIVATION DES DECISIONS DES SAFERS
Publié le :
07/10/2019
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Le droit de préemption des SAFER source d’un abondant contentieux judiciaire, constitue une prérogative liée aux missions des services publiques, dévolues à ces sociétés.
A ce sujet, le Conseil d’Etat a reconnu, à plusieurs reprises, la mission de service public des SAFER, consistant notamment à « favoriser l’installation, le maintien et la consolidation des exploitations agricoles ou forestières afin que celles-ci atteignent une dimension économique viable, ou encore assurer la transparence du marché foncier rural. » (C.E, 15 mars 2017, N°393894).
Cependant, bien que lié à une mission d’intérêt général conduite pour la collectivité, les pouvoirs exorbitants des SAFER étaient, jusqu’à présent, soumis à un contrôle timide de la part des autorités juridictionnelles.
Ce contrôle, exercé par les juridictions judiciaires, se limitait pour l’essentiel à des aspects formels, la Cour de Cassation ayant développé une jurisprudence constante par laquelle elle s’interdisait toute appréciation de l’opportunité des décisions rendues, notamment en matière de rétrocession des biens acquis par voie de préemption.
Voir entre autre Cass. Civ. III, 17 mars 2016, N°14-24601
Cependant, dans la période récente, la Cour de Cassation a manifesté son désir de resserrer le contrôle de la motivation des décisions de rétrocessions des affaires dans deux arrêts remarqués, rendus les 18 janvier 2018 (N°16-20537) et 13 décembre 2018 (N°17-18019), la troisième chambre civile et la Cour de Cassation a énoncé que « la motivation de la décision de rétrocession doit permettre au candidat non retenu de vérifier la réalité des objectifs poursuivis au regard des objectifs légaux ».
En d’autres termes, les SAFER étaient invités à soigner la forme de leurs décisions de rétrocessions, les intéressés devant être à même de vérifier, à la lecture de celles-ci, que la finalité de la décision rendue était en adéquation avec la mission légale dévolue à ces sociétés.
Un pas supplémentaire est franchi avec un arrêt de la Cour de Cassation en date du 28 mars 2019.
Dans ce dossier, la Cour de Cassation statuait sur un pouvoir formé à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’Appel de CAEN daté du 5 décembre 2017.
Le litige portait sur une décision de rétrocession datée du 13 février 2012, motivée de la manière suivante :
« Agrandissement pour conforter la récente installation de Madame LEFRANC effectuée le 1er octobre 2011 sans reprise de foncier ».
Devant la Cour d’Appel, le candidat évincé à rétrocession avait fait valoir que l’installation effective de l’attributaire n’était intervenue que le 1er septembre 2012, date de son immatriculation auprès de la MSA en tant que non salarié agricole membre d’une société d’exploitation.
Ce tiers évincé avait donc fait valoir, devant les juges d’appel, que lors de l’adoption de la décision de rétrocession, le 29 novembre 2011, il ne pouvait être question de conforter une installation qui n’avait pas encore eu lieu.
La Cour de Cassation a censuré l’arrêt de la Cour d’Appel, sur la base de la motivation suivante :
« En statuant ainsi, alors la décision de rétrocession avait été prise en vue d’un agrandissement pour conforter une installation déjà existante et que la SAFER ne pouvait procéder à une telle rétrocession que si l’exploitant bénéficiaire, censé être en activité, se trouvait lui-même dans une situation régulière, la Cour d’Appel a violé les textes susvisés ».
La Cour de Cassation ne peut évidemment qu’être louée pour le souci qu’elle porte à la concordance des dates et les calendriers.
En l’espèce, il parait évident, à la lecture de l’arrêt de la Cour de Cassation, que l’attributaire avait fait valoir, pour obtenir une décision à son profit, une installation qui n’était pas encore effective.
Mais au-delà d’une mise en ordre chronologique, cet arrêt semble bien révéler un nouvel approfondissement du contrôle du juge judiciaire sur les décisions des SAFER : non seulement la motivation doit permettre de vérifier que la décision est en adéquation avec les missions légales de l’organisme, mais elle doit également être cohérente par rapport aux données concrètes du dossier.
Les juges judiciaires semblent donc bien abandonner progressivement sa jurisprudence classique et s’orienter vers un contrôle de l’opportunité des décisions des SAFER.
Dans un état de droit, on ne peut que se féliciter qu’un organisme certes privé, mais investi de mission de service public et de prérogative de puissance publique, soit soumis à un contrôle juridictionnel rigoureux quant au bon usage des attributions dont il dispose.
François ROBBE
Avocat associé
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