Mention d’une appellation d’origine protégée entrant dans la composition d’un produit alimentaire : l’importante précision de la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt du 20 décembre 2017
Publié le :
25/09/2018
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La Cour de justice de l’Union européenne saisie d’une question préjudicielle devait dire si une glace pouvait être vendue sous la dénomination « sorbet au champagne » dès lors que des vins de cette appellation renommée entraient dans sa composition.
La réponse est affirmative mais l’application de ce principe reste assujettie à certaines conditions.
Un distributeur allemand a mis en vente un sorbet au champagne ainsi dénommé et contenant 12% de vin de ladite appellation.
Le Comité interprofessionnel des Vins de Champagne, considérant que cette présentation portait atteinte à l’AOP Champagne, a saisi la juridiction de première instance allemande pour faire condamner le distributeur à cesser d’utiliser cette dénomination.
Il fondait principalement sa demande sur l’article 118 quaterdecies du règlement communautaire 1234/2007 mentionnant que les appellations d’origines protégées peuvent être utilisées par tout opérateur commercialisant un vin produit conformément au cahier des charges, lesquelles se trouvent protégées contre toute utilisation commerciale directe ou indirecte de la dénomination considérée pour des produits comparables ne respectant pas le cahier des charges ou utilisant la réputation de ladite appellation.
De même, l’article interdit toute usurpation, imitation ou évocation quand bien même une précaution serait prise en l’accompagnant d’une expression telle que genre, type, méthode, façon, imitation, ou une expression similaire.
Le tribunal fait droit à la demande du CIVC.
En appel, la décision est réformée, les juges du second degré relevant que la condition relative à une utilisation déloyale de l’AOP n’était pas remplie.
Le Comité interprofessionnel des Vins de Champagne saisit alors la Cour Fédérale, l’équivalent de notre Cour de Cassation, qui décide de poser différentes questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne et de sursoir à statuer dans l’attente de sa réponse.
Pour la Cour Suprême allemande, il s’agissait de savoir si :
- Les dispositions communautaires protégeant l’AOP devait être étendue aux denrées alimentaires dans la composition desquelles entre l’AOP ;
- L’utilisation d’une AOP comme partie du nom d’une denrée alimentaire, elle-même étrangère au cahier des charges du produit, constitue une exploitation de la réputation de ladite appellation, dans l’hypothèse où l’ingrédient (l’AOP) a été ajouté en quantité suffisante pour conférer au produit une caractéristique essentielle ;
- L’utilisation d’une AOP dans la composition d’une denrée alimentaire ajoutée dans une quantité suffisante constitue une usurpation, une imitation ou une évocation illégale ;
- Les dispositions communautaires ne sont applicables qu’aux indications fausses ou fallacieuses qui sont de nature à créer dans l’esprit du public une impression erronée sur l’origine d’un produit.
La Cour croise les différents textes applicables aux appellations d’origine protégée et aux dispositions communautaires relatives à l’étiquetage des denrées, qui exigent notamment que figure parmi les mentions obligatoires la liste des ingrédients (directive 2000/13/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 mars 2000 et les dispositions du règlement n° 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011) concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires, et des règlements subséquents, précisant que figure parmi les mentions obligatoires la dénomination de la denrée alimentaire, laquelle est constituée de sa dénomination légale et à défaut de son nom usuel, ou encore à défaut d’un nom descriptif précis.
La législation communautaire précise également au titre de l’indication quantitative des ingrédients que l’indication est requise si cet ingrédient est utilisé dans la fabrication de la préparation, dès lors notamment qu’il est associé à cette dénomination par les consommateurs et est mis en évidence dans l’étiquetage par des mots images ou représentations graphiques ou encore apparait essentielle pour caractériser ladite denrée et la distinguer des produits avec lesquels elle pourrait être confondue.
La Cour constate tout d’abord que l’exploitation illicite de la réputation d’une appellation d’origine protégée induit une utilisation de ladite AOP dans l’optique de profiter indûment de sa réputation.
Dans le principe elle admet que l’utilisation de la dénomination sorbet au champagne pour une glace contenant du champagne transmet l’attraction naturelle de l’AOP Champagne, qui lui permet de s’approprier des caractéristiques de qualité et de prestige, et vise bien à en tirer profit.
En conséquence, un premier principe est établi : il n’est pas interdit de tirer profit d’une appellation dès lors que le produit qui emploie dans sa désignation cette appellation, le contient dans sa composition.
La question est ensuite de savoir si, et c’est ce qui serait condamnable, ce profit est indûment obtenu.
Si tel est le cas, le produit exploiterait alors illicitement la réputation de l’AOP.
Toutefois, tel ne sera pas le cas si le produit contenant l’AOP a comme caractéristique essentielle un goût généré principalement par celle-ci.
Pour le savoir, il est nécessaire de vérifier la quantité de l’AOP contenue dans le sorbet ou le produit alimentaire considéré pour apprécier si elle intervient en quantité suffisante ou non.
En d’autres termes pour la Cour, il convient en l’espèce que le sorbet ait comme caractéristique essentielle un goût généré principalement par le Champagne.
Si la quantité est insuffisante, manifestement l’emploi des mots serait fait faussement et apparaitrait alors illicite.
Il faut en effet pour porter atteinte à la protection dont disposent les appellations d’origine protégée, que les indications qui lui portent atteinte soient de nature à créer une impression erronée sur l’origine du produit concerné et sur la nature ou les qualités substantielles qui lui sont attachées.
Ainsi pour la Cour, l’utilisation par l’incorporation dans la dénomination du produit de l’appellation d’origine protégée, revendiquait ouvertement une qualité gustative qui lui est liée, ne constitue ni une usurpation, ni une imitation , ni une évocation illicite.
Pour la Cour, un sorbet composé avec 12% de Champagne, gouttant le Champagne, ne porte pas atteinte à l’appellation « Champagne ».
Elle prend soin néanmoins de rappeler qu’il appartient aux juridictions étatiques d’apprécier au cas par cas les situations qui leur sont soumises.
En d’autres termes, la Cour procède par une déduction positive et par une déduction négative.
L’appréciation positive est que le recours à une appellation d’origine protégée, et d’ailleurs aussi à une indication géographique protégée, doit être substantielle, c’est-à-dire que la quantité présente soit suffisante pour ne pas servir d’alibi à la désignation.
L’appréciation négative est que le produit ainsi désigné ne doit pas banaliser et dénigrer l’appellation qui rentre dans sa composition. En l’espèce, une glace de qualité est un bon produit, une glace au Champagne est un produit de plus grande qualité.
Se faisant, la glace au Champagne ne nuit pas à l’appellation « Champagne » et sans aller jusqu’à dire qu’il participe à sa notoriété, ne lui enlève rien.
L’intention des professionnels et le résultat obtenu sont extrêmement importants.
Si l’emploi de l’appellation ou de l’indication géographique protégée est finalement un leurre permettant seulement la référence à une appellation ou à une indication géographique protégée, dans la destination du produit, les faits seront sanctionnés, non seulement civilement mais pourront l’être également pénalement.
Si en revanche il s’agit de la réalisation d’une recette traditionnelle ou d’un produit dont les caractéristiques gustatives voire organoleptiques sont à juste titre augmentées par la présence de ladite appellation ou indication géographique protégée, entrant dans la composition du produit, aucune critique ne pourra plus être formulée.
Michel DESILETS
Ancien Bâtonnier
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